Interview de l’équipe de Blood & Carpet, par Jean-Baptiste Boursier et Elizabeth Venisse

Réalisateur : Graham Fletcher-Cook

Actrice principale : Annie Burkin

Directrice de la photographie : Jeanette Monero

Q: Pourquoi faire ce film en noir et blanc ?

G: Parce qu’il est plus beau ainsi, tout simplement ! A l’origine, nous avions commencé à tourner en couleur, puis nous avons fait différents tests en noir et blanc et nous nous sommes rendus compte que les personnes à qui nous montrions ces échantillons semblaient plus apprécier la version en noir et blanc. On nous disait souvent que ça rendait mieux l’esprit des années 60. De plus, l’image était plus nette, car en enlevant les couleurs, la caméra pouvait enregistrer plus de détails tout en prenant moins de place sur la carte mémoire.

Q: Au-delà du noir et blanc, le film a l’air vieux : l’image est parfois légèrement striée, on remarque les marques qui servaient à indiquer à l’époque les changements de bobine…

J: Oui, nous avons décidé de rester le plus près possible de l’ambiance créée par les vieux films. Nous voulions que le film ait véritablement un air d’époque.

Q: Il y a quand même quelques scènes en couleur à la fin du film … Pourquoi ?

G: C’est vrai, on trouvait que ça créait un beau contraste entre les différentes époques du film.

J: Cela renforce aussi l’atmosphère oppressante des parties en noir et blanc. Le jeu d’ombres renforce beaucoup la présence du personnage de Ruby, lui donne un caractère sombre et mystérieux.

G: On tenait aussi beaucoup à l’idée du caractère des personnages qui ne sont ni blancs ni noirs.

C’était important de montrer qu’aucun personnage de l’histoire n’était foncièrement mauvais ou bon, d’éviter cette vision manichéenne si habituelle au cinéma.

Q: Vous avez évoqué l’esprit des années 60… pourquoi avez-vous décidé de situer le film à cette époque précise ?

G: A vrai dire, il y a encore une forte attirance pour cette époque. Mais la raison principale de ce choix, c’est toutes nos relations qui nous ont aidés. Beaucoup de personnes nous ont contacté : « je peux vous prêter ma vieille voiture », « venez dans mon bar », et même le groupe des Petty Hoodlums qui apparaît dans le film nous a contacté. On a eu beaucoup d’aide de ces gens là et je tiens à les remercier.

Q: A propos du meurtre même, est-ce que vous pensez que l’époque était importante ? Compte tenu des technologies d’aujourd’hui ?

G: Bien sûr, c’était très important pour l’histoire, le manque de technologies actuelles pour la résolution du crime.

A: Surtout le manque de caméras de vidéosurveillance ou d’analyses ADN. Si il y a avit eu ces outils, le film ne pourrait pas finir ainsi.

Q: Annie, pouvez-vous nous parler de votre carrière d’actrice ? Vous avez commencé en 2005, et on se rappelle surtout de votre performance dans Zebra Crossing, sorti en 2011. Dans ce film, vous abordez surtout le thème de l’amitié… Comment était-ce, et surtout, qu’est ce que ça fait de changer aussi drastiquement de personnage ?

A: En effet, c’était un film très centré sur les relations amicales entre les personnages. L’histoire d’un jeune homme qui tente d’échapper à un univers malsain, un univers criminel qui le retient malgré lui… Le personnage de Ruby était très différent, il s’exprimait plus par ses expressions que par ses mots et c’était très intéressant… Je l’ai trouvé très complexe : on la voit si forte et en même temps on ressent sa faiblesse intérieure. Le film montre une véritable évolution du personnage.

G: A mon avis, le personnage de Ruby est resté un enfant, un enfant traumatisé, et c’est pour cela qu’elle change brusquement de caractère. On me demande souvent ce qu’elle est devenue après cette histoire, mais ce qui me semble intéressant c’est pourquoi cette histoire existe : car c’est elle qui crée un mensonge de toutes pièces pour éviter de faire face à une réalité qu’elle fuit.

Q: Je pense que le personnage qui se démarque le plus est quand même Melvin… Quel est son rôle dans le film ? Qu’est- ce qu’il représente ?

G: Son rôle dans le film est à mi-chemin entre le comique et le gêneur … Au début, mon idée était de l’introduire comme un personnage désagréable puis de faire en sorte que le public éprouve de la sympathie pour lui. Je pensais vraiment qu’à la fin du film, les spectateurs seraient tristes pour lui, mais pas du tout. Tous ceux avec qui j’ai parlé m’ont dit qu’ils le trouvaient horrible. Mais il faut le prendre comme un compliment pour Frank Boyce, qui joue Melvin et qui a fait un travail d’acteur fantastique, parce qu’il n’est absolument pas comme ça, en réalité, et qu’il a travaillé dur pour avoir l’accent des années 60 et pour paraître aussi odieux.

Q: Le personnage de Lyle est intéressant aussi puisqu’il change drastiquement à la fin du film. On a cette image de lui comme un imbécile heureux et très gentil, jusqu’à sa dernière apparition où il devient franchement désagréable. Comment est-ce que vous expliquez cette évolution ?

A: Je pense que ce n’est pas tant le personnage de Lyle qui évolue que la vision que Ruby a de lui. Tout le film suit le point de vue de Ruby et à mon avis, elle se rappelle principalement de lui comme gentil parce que c’est l’image qu’elle veut conserver de lui, et lorsqu’elle se rend compte de ce qu’elle a fait elle le justifie par l’attitude exécrable de Lyle.

J: C’est très intéressant aussi de voir son rôle, Lyle est un peu la conscience de Ruby : elle extériorise sur lui toutes ses frustrations et elle se parle en fait à elle-même. Tous les reproches qu’elle fait à Lyle sont en fait dirigés contre elle-même.

Q: Les responsables du festival Univerciné ont décrit ce film comme « un petit bijou cinématographique teinté d’humour noir ». Est-ce que cette description vous plaît ?

G: Bien sûr ! On a fait ce film avec très peu de moyens et très vite, alors ça nous fait vraiment plaisir que des gens l’aient apprécié, et je suis d’ailleurs toujours surpris qu’il ait si bien marché, il a déjà fait le tour du monde et touché beaucoup de personnes, et c’est le premier objectif d’un film, même si on aimerait beaucoup qu’il sorte dans plus de cinémas et qu’il touche vraiment un grand public. Mais on est très satisfaits de l’impact qu’il a déjà eu et découvrir les réactions de tant de spectateurs est une expérience très enrichissante.

Q: J’ai vu que vous travailliez déjà sur un autre film, « 60 Seconds to Die »… Est-ce que vous pourriez nous en parler ?

G: Bien sûr, c’est un film assez particulier puisqu’il s’agit en fait d’une anthologie du film d’horreur, avec 70 réalisateurs travaillant chacun sur une scène d’une minute.

J: C’est très différent et c’est un nouveau défi, parce que créer une histoire en une minute c’est très difficile. A mon avis c’est beaucoup plus difficile que de faire un film entier comme Blood & Carpet .